Le marché crypto face à la volatilité : entre euphorie et prudence éthique
Introduction
Le marché des cryptomonnaies a une nouvelle fois démontré sa nature imprévisible avec une injection massive de 156 milliards de dollars en seulement sept heures, propulsant le Bitcoin au-dessus du seuil psychologique des 100 000 dollars [1]. Ce rebond spectaculaire, survenu le 7 novembre 2025, a ravivé l'enthousiasme des investisseurs après une période de forte incertitude. Pour l'investisseur musulman, cette volatilité extrême soulève des questions fondamentales sur la nature de ces actifs et la conformité de tels investissements avec les principes de la finance islamique. Cet article se propose d'analyser ce récent soubresaut du marché sous un angle éthique, en examinant les concepts de Gharar (incertitude), de Maysir (spéculation) et de Riba (intérêt), afin d'offrir des clés de lecture pour une prise de décision éclairée.
Anatomie d'un rebond spectaculaire
La journée du 7 novembre 2025 restera gravée dans les annales du marché crypto. Après avoir flirté avec le support des 100 000 dollars, le Bitcoin a connu une ascension fulgurante pour dépasser les 103 000 dollars, entraînant dans son sillage l'ensemble de l'écosystème. Ethereum, la deuxième plus grande capitalisation du marché, s'est rapproché des 3 500 dollars, tandis que d'autres altcoins majeurs comme Solana ont également affiché des performances remarquables [1].
Ce mouvement haussier ne s'est pas limité aux leaders du marché. La capitalisation totale des altcoins a bondi de plus de 81 milliards de dollars en une seule journée, avec de nombreuses cryptomonnaies enregistrant des gains à deux chiffres. Ce phénomène, souvent qualifié de « saison des altcoins » (altcoin season), témoigne d'un appétit pour le risque renouvelé de la part des investisseurs, qui se tournent vers des actifs plus volatils dans l'espoir de rendements plus élevés. Ce rebond a été l'un des mouvements intrajournaliers les plus puissants de ces dernières semaines, contrastant vivement avec la prudence qui dominait jusqu'alors.
Cependant, il est crucial de replacer cet événement dans son contexte. Le marché sortait d'une période de forte correction, qualifiée par certains d'« hiver crypto », qui avait vu la valeur de nombreux actifs chuter drastiquement. Le crash du 10 octobre 2025, où le Bitcoin a perdu près de 15% de sa valeur en une seule journée, passant de 122 000 à 104 000 dollars, a laissé des traces [2]. La volatilité implicite du Bitcoin (BVIV) est d'ailleurs restée à des niveaux très élevés, au-dessus de 50%, signe de la nervosité persistante des opérateurs de marché [2].
La volatilité : une caractéristique structurelle
Comprendre les raisons de cette volatilité est essentiel pour tout investisseur. Contrairement aux marchés financiers traditionnels, qui sont régulés et bénéficient de mécanismes de stabilisation comme les interventions des banques centrales, l'écosystème crypto est largement décentralisé. Cette absence d'un « prêteur en dernier ressort » le rend structurellement plus vulnérable aux chocs de liquidité et aux mouvements de panique [2].
Les événements récents ont mis en lumière la fragilité systémique de certains mécanismes propres à la finance décentralisée (DeFi). Les phénomènes d'« auto-deleveraging » (ADL), où les plateformes d'échange ferment de force les positions à effet de levier pour couvrir les pertes, peuvent créer des cascades de liquidations qui amplifient les mouvements de prix. Ces mécanismes, combinés à des défaillances d'infrastructure sur certaines plateformes, exacerbent la volatilité et peuvent conduire à des « flash crashes » [2].
Face à cette réalité, la diversification au sein même de l'écosystème crypto apparaît comme une stratégie pertinente. Alors que le Bitcoin n'a progressé que de 6% au troisième trimestre 2025, certains projets liés aux solutions de seconde couche (layer-2), à la DeFi ou aux infrastructures blockchain ont affiché des performances bien supérieures, allant de +32% à +65% [2]. Cela suggère qu'une analyse fine des fondamentaux de chaque projet est plus que jamais nécessaire pour naviguer dans cet environnement complexe.
Analyse éthique à la lumière de la finance islamique
Pour l'investisseur musulman, la question n'est pas seulement de savoir si un investissement est rentable, mais s'il est éthique (halal). La volatilité extrême observée récemment interpelle directement plusieurs principes fondamentaux de la finance islamique.
Le Gharar (incertitude excessive)
Le Gharar se réfère à l'incertitude, l'ambiguïté ou le manque d'information dans un contrat, qui peut conduire à un litige. Un investissement dont l'issue est excessivement incertaine peut être considéré comme contenant du Gharar. Le rebond de 156 milliards de dollars en quelques heures, suivi de périodes de forte baisse, illustre parfaitement cette incertitude extrême. La valeur des cryptomonnaies est souvent déconnectée de toute réalité économique tangible et repose en grande partie sur la psychologie des foules et le sentiment de marché. Cette nature spéculative, où la valeur d'un actif peut changer de manière drastique sans raison fondamentale apparente, est une source majeure de Gharar.
Il convient toutefois de nuancer. Tous les actifs crypto ne présentent pas le même niveau de Gharar. Le Bitcoin, par sa nature décentralisée, sa politique monétaire prévisible et son adoption croissante comme réserve de valeur, peut être considéré comme ayant un niveau de Gharar inférieur à celui de nombreux « memecoins » ou altcoins dont l'utilité est quasi inexistante et dont la valeur repose uniquement sur des effets de mode.
Le Maysir (spéculation et jeu de hasard)
Le Maysir est l'acquisition de richesse par la chance ou la spéculation, sans effort productif. Il est souvent assimilé aux jeux de hasard. La frontière entre investissement et spéculation est parfois mince, mais la finance islamique encourage l'investissement dans l'économie réelle, où la création de valeur est tangible. Lorsque les investisseurs achètent des cryptomonnaies dans l'unique espoir de les revendre plus cher à très court terme, sans se soucier du projet sous-jacent, ils se rapprochent dangereusement du Maysir. Les gains à deux chiffres en 24 heures, bien qu'attrayants, devraient alerter l'investisseur éthique sur la nature potentiellement spéculative de son placement.
Une approche éthique consisterait à investir dans des projets blockchain qui ont une utilité réelle, qui résolvent un problème concret et qui ont un modèle économique viable. Il s'agit de passer d'une logique de spéculateur à une logique d'investisseur-partenaire, qui croit au potentiel à long terme d'une technologie.
Le Riba (intérêt et usure)
Le Riba, l'intérêt ou l'usure, est formellement interdit en Islam. Si l'achat et la détention de cryptomonnaies comme le Bitcoin ne posent généralement pas de problème de Riba, de nombreux produits de la finance décentralisée (DeFi) en sont porteurs. Les plateformes de « staking », de « lending » (prêt) ou de « yield farming » qui proposent des rendements fixes ou variables en échange du blocage de ses cryptomonnaies s'apparentent souvent à des contrats de prêt à intérêt. L'investisseur musulman doit donc faire preuve d'une extrême vigilance et analyser en détail le fonctionnement de chaque protocole DeFi avant d'y placer ses fonds.
Conclusion : vers un investissement crypto éclairé et responsable
Le récent rebond du marché crypto est une piqûre de rappel : cet univers est à la fois porteur d'opportunités et de risques considérables. Pour l'investisseur musulman, la volatilité n'est pas seulement un risque financier, c'est aussi un risque éthique. Les principes de Gharar, de Maysir et de Riba doivent guider chaque décision d'investissement.
Plutôt que de céder à l'euphorie des hausses rapides ou à la panique des baisses brutales, une approche mesurée et responsable s'impose. Cela passe par une éducation continue, une analyse approfondie des projets et une diversification prudente. L'émergence d'actifs tokenisés du monde réel (RWA), qui offrent des rendements stables avec une faible corrélation au marché crypto [2], pourrait également constituer une alternative intéressante pour les investisseurs en quête de stabilité et de conformité éthique.
En définitive, investir dans les cryptomonnaies de manière éthique est possible, mais cela exige une discipline rigoureuse et une volonté de privilégier la création de valeur à long terme sur la spéculation à court terme. Le chemin est étroit, mais il est la condition sine qua non pour que la finance décentralisée puisse, un jour, tenir ses promesses d'un système financier plus juste et plus inclusif.
Références
[1] Julien Leroy, « Le marché crypto bondit de 156 milliards de dollars en 7 heures », Yahoo Finance France, 9 novembre 2025. https://fr.finance.yahoo.com/actualites/march%C3%A9-crypto-bondit-156-milliards-200000262.html
[2] Riley Serkin, « Bitcoin's Volatility and Market Sentiment: Navigating Risk in a Bearish Landscape », AInvest.com, 7 novembre 2025. https://www.ainvest.com/news/bitcoin-volatility-market-sentiment-navigating-risk-bearish-landscape-2511/