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Bitcoin face à l'incertitude de la Fed : une analyse éthique pour l'investisseur musulman

Bitcoin face à l'incertitude de la Fed : une analyse éthique pour l'investisseur musulman

13 novembre 2025
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Le monde des cryptomonnaies a de nouveau été secoué par une forte volatilité, le bitcoin ayant récemment chuté sous le seuil psychologique des 102 000 dollars. Cette baisse, survenue après un bref passage au-dessus des 105 000 dollars, n'est pas un événement isolé. Elle s'inscrit dans un contexte macroéconomique tendu, marqué par les hésitations de la Réserve fédérale américaine (Fed) concernant sa politique de taux d'intérêt. Pour l'investisseur moyen, cette situation est source d'inquiétude. Mais pour l'investisseur musulman, elle soulève des questions éthiques fondamentales, au cœur des principes de la finance islamique. Face à cette incertitude, comment naviguer dans un marché aussi imprévisible tout en respectant ses convictions ? Cet article propose une analyse approfondie de la situation actuelle du bitcoin, passée au crible des principes éthiques de la finance islamique, afin d'offrir des pistes de réflexion et des stratégies adaptées à l'investisseur soucieux de concilier foi et finance.

La tempête actuelle : bitcoin et la politique de la Fed

La récente chute du bitcoin, qui a entraîné dans son sillage l'ensemble du marché des cryptomonnaies, trouve en grande partie sa source dans le climat d'incertitude qui règne sur les marchés financiers traditionnels. En l'espace de quelques heures, le bitcoin a perdu 3 % de sa valeur, tandis que d'autres actifs majeurs comme l'ether (ETH), le Solana (SOL) ou le XRP ont connu des baisses encore plus prononcées, allant jusqu'à 5 % [1]. Cette correction brutale coïncide avec une perte de confiance des investisseurs américains, comme en témoigne un indicateur clé : le "Coinbase Premium". Cet indice, qui mesure la différence de prix du bitcoin entre la plateforme Coinbase (très utilisée aux États-Unis) et Binance (populaire à l'international), est négatif depuis la fin du mois d'octobre. C'est sa plus longue série négative depuis la correction d'avril, signe d'une demande américaine en berne.

Cette frilosité des investisseurs est directement liée aux signaux contradictoires envoyés par la Réserve fédérale américaine. L'institution est aujourd'hui divisée sur la marche à suivre. D'un côté, la persistance de l'inflation plaide pour un maintien de taux d'intérêt élevés. De l'autre, les signes de ralentissement du marché du travail pourraient justifier une baisse des taux pour stimuler l'économie. Cette indécision, qualifiée de "pile ou face" par le Wall Street Journal, crée un environnement d'incertitude maximale qui pèse lourdement sur les actifs à risque comme le bitcoin. La preuve la plus tangible de cette méfiance est le retrait massif de capitaux des ETF (fonds négociés en bourse) bitcoin au comptant, qui ont enregistré plus de 1,8 milliard de dollars de sorties nettes depuis la dernière réunion de la Fed [1].

Le prisme de la finance éthique islamique

Face à cette situation, l'investisseur musulman ne peut se contenter d'une simple analyse financière. Il doit également évaluer la situation à l'aune des principes de la finance islamique, qui visent à promouvoir un système économique juste, transparent et adossé à l'économie réelle. Trois interdits fondamentaux structurent cette approche : le Riba, le Maysir et le Gharar.

Le Riba, souvent traduit par l'usure ou l'intérêt, est l'un des péchés les plus graves en Islam. Il correspond à tout gain obtenu sans contrepartie, sur la base d'un prêt. La finance islamique privilégie ainsi les modèles de partage des profits et des pertes (Mudarabah, Musharakah) où le capital et le travail s'associent pour créer de la valeur.

Le Maysir désigne la spéculation, les jeux de hasard et tout enrichissement qui dépend du hasard pur plutôt que de l'effort ou de la prise de risque calculée. Il s'agit d'éviter les gains qui ne sont pas le fruit d'une activité économique réelle et productive.

Le Gharar se réfère à l'incertitude, l'ambiguïté ou la tromperie excessive dans un contrat. Un contrat affecté par le Gharar est un contrat dont les termes ne sont pas clairs, dont l'objet n'est pas certain ou dont l'existence même est douteuse. L'objectif est de garantir la transparence et l'équité de toutes les transactions.

Ces principes, loin d'être des contraintes archaïques, constituent les fondements d'une approche de l'investissement qui gagne en popularité, y compris au-delà de la communauté musulmane. La finance islamique, avec ses 3,25 trillions de dollars d'actifs en 2023 et une croissance annuelle projetée entre 10 et 12 %, s'affirme comme une alternative éthique et résiliente à la finance conventionnelle [2].

Bitcoin à l'épreuve du Gharar et du Maysir

La volatilité extrême du bitcoin et l'incertitude quant à sa valeur future interrogent directement les concepts de Gharar et de Maysir. La question de savoir si l'investissement dans le bitcoin est conforme à l'éthique islamique fait l'objet de vifs débats parmi les érudits musulmans. Il n'existe pas de consensus unique, mais plutôt un spectre d'opinions qui reflète la complexité du sujet. C'est un domaine relevant de l'ijtihad, l'effort de réflexion et d'interprétation des sources scripturaires par les savants qualifiés.

Certains érudits considèrent le bitcoin comme étant haram (illicite) en raison de plusieurs facteurs. Sa forte volatilité et l'absence d'une autorité centrale de régulation créent un niveau de Gharar (incertitude) jugé excessif. De plus, son utilisation fréquente à des fins spéulatives (plutôt que comme un moyen d'échange ou une réserve de valeur stable) le rapproche du Maysir (spéculation). L'absence de valeur intrinsèque, contrairement à l'or ou à d'autres matières premières, est un autre argument souvent avancé.

À l'opposé, d'autres savants, comme le Mufti Muhammad Abu-Bakar dans son analyse pour Blossom Finance, estiment que le bitcoin et la plupart des cryptomonnaies sont halal (licites) [3]. Ils argumentent que le bitcoin peut être considéré comme un bien numérique (mal) ayant une valeur reconnue par ses utilisateurs. Sa nature décentralisée est vue comme une protection contre la manipulation par les États ou les banques centrales. Selon cette perspective, la spéculation n'est pas inhérente à l'actif lui-même, mais dépend de l'intention et du comportement de l'investisseur. Tant que l'on investit sur la base d'une analyse fondamentale du projet et de sa technologie, et non dans une logique de pari, l'investissement peut être considéré comme éthique.

Naviguer en tant qu'investisseur musulman : stratégies et réflexions

Dans ce contexte d'incertitude factuelle et de divergence d'opinions religieuses, comment l'investisseur musulman peut-il se positionner ? Plusieurs stratégies peuvent être adoptées pour minimiser les risques financiers et éthiques.

La première étape est l'éducation. Avant tout investissement, il est impératif de mener ses propres recherches (le fameux "DYOR" - Do Your Own Research). Comprendre la technologie blockchain, le fonctionnement du bitcoin, ses cas d'usage et les risques associés est un prérequis non négociable. Il est également essentiel de se forger sa propre conviction sur le plan éthique en consultant des sources fiables et des avis de savants reconnus.

La diversification est une autre règle d'or. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier permet de lisser le risque. Pour un investisseur musulman, cela peut signifier allouer une part raisonnable et limitée de son portefeuille aux cryptomonnaies, à côté d'investissements plus traditionnels et clairement conformes à la Shariah, comme les actions d'entreprises éthiques, l'immobilier ou les sukuk (obligations islamiques).

Le choix du véhicule d'investissement est également crucial. Les ETF bitcoin au comptant (spot), qui sont adossés à du bitcoin physique, peuvent être considérés comme plus conformes que les ETF basés sur des contrats à terme (futures), ces derniers étant des produits dérivés qui introduisent un niveau supplémentaire de spéculation et de complexité, s'apparentant au Gharar.

Enfin, il est intéressant de noter la convergence croissante entre la technologie blockchain et la finance islamique. Des projets de "Green Sukuk" tokenisés sur la blockchain voient le jour, alliant les principes de la finance islamique à l'efficacité et la transparence de cette nouvelle technologie [2]. S'intéresser à ces innovations peut offrir des opportunités d'investissement à la fois performantes et en parfait accord avec ses valeurs.

Conclusion

La volatilité actuelle du bitcoin, exacerbée par les incertitudes de la politique monétaire américaine, constitue un véritable test pour tous les investisseurs. Pour les musulmans, ce test est double : il est à la fois financier et éthique. L'analyse à travers le prisme des principes islamiques de Riba, Maysir et Gharar ne fournit pas de réponse unique et définitive, mais elle offre un cadre de réflexion puissant pour une prise de décision éclairée et responsable. En privilégiant l'éducation, la diversification, le choix de véhicules d'investissement simples et transparents, et en restant à l'affût des innovations qui marient éthique et technologie, l'investisseur musulman peut naviguer dans les eaux tumultueuses du marché crypto. Il ne s'agit pas de chercher une certitude absolue, mais de s'engager dans une démarche d'investissement réfléchie, où la quête de performance financière ne se fait jamais au détriment des principes qui la fondent.

Références

[1] CoinDesk - Bitcoin Plunges Below $102K Amid Weak U.S. Demand, Fed Divided on December Cut [2] The Islamic Economist - Does Blockchain Technology Have Value for Islamic Finance? [3] Blossom Finance - Shariah Analysis of Bitcoin, Cryptocurrency, and Blockchain

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